Contrat en Asie, famille à l’abri (blog «une balle dans le pied»)
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Contrat en Asie, famille à l’abri (blog «une balle dans le pied»)
Contrat en Asie, famille à l’abri (proverbe footballistique)
Oscar, Carlos Tevez et Axel Witsel ont tout récemment allongé la liste des footballeurs de bon niveau qui ont choisi de signer des contrats extraordinairement lucratifs avec des clubs chinois. En 2016, les montants des transferts vers la Chine, « nouvel Eldorado » (comprendre : marché de consommateurs gigantesque où l’État et les investisseurs privés ont décidé de faire du développement du football une priorité nationale [1]) ont dépassé ceux de la richissime Premier League – même si la frénésie actuelle suscite désormais des inquiétudes chez les autorités [2].
Des joueurs se voient ainsi offrir des salaires ibrahimoviciens qu’ils n’auraient jamais obtenus dans les grands clubs européens, avec des primes de but à 150.000 euros selon Gervinho. Au Shanghai Shenhua, Tevez touchera un salaire de 38 millions d’euros par an, soit le record mondial.
LA BOURSE OU L’ENVIE
Les championnats en voie de développement sont contraints de miser sur des stars sur le déclin, des espoirs déchus et des joueurs simplement moyens, mais le football chinois a décidé de monter en gamme, fût-ce encore avec des seconds choix, pour le moment.
Pour des internationaux qui ont encore plusieurs années au plus haut niveau devant eux, en termes sportifs et de prestige, justifier de pareils choix laisse peu de possibilités [2]. La « découverte d’une autre culture », qui avait été souvent invoquée lors des premières migrations vers le Golfe ou l’Asie, ou le fameux « challenge sportif » peuvent difficilement être avancés (même s’il ne faut pas mépriser, par eurocentrisme, les championnats « exotiques », où les projets de développement peuvent être intéressants). « Le choix est très rarement sportif aujourd’hui. Les sommes sont tellement colossales que le foot devient annexe. (…) Quand on va [en Chine], on fait une croix sur le foot et sur sa vie pendant deux ans », tranche Christian Gourcuff.
En fait, les joueurs doivent bien admettre que leurs motivations sont essentiellement financières. L’admettre sans forcément l’assumer, avec le recours à un argument aussi vieux que l’inflation du marché des transferts : « Je l’ai fait pour mettre ma famille à l’abri ». Axel Witsel en a donné une merveilleuse interprétation à propos de son transfert au Tianjin Quanjian, où il devrait toucher un salaire de 18 millions d’euros par an : « C’était une décision très difficile parce que d’un côté il y avait un très grand club comme la Juventus, mais de l’autre il y avait une offre impossible à refuser pour l’avenir de ma famille ». La déclaration mérite une exégèse.
« IMPOSSIBLE À REFUSER » ?
D’abord, la « difficulté » de cette décision est celle de l’embarras du choix. Et manifestement, l’option de la Juventus était plus difficile à prendre. Ensuite, il y a cette « offre impossible à refuser », qui a le mérite de désigner sans ambiguïté la motivation principale, mais qui relève d’une théorie dont les défenseurs prétendent qu’elle est universelle. Selon celle-ci, on ne peut littéralement pas refuser de tels ponts d’or, et quiconque (y compris parmi les indignés et les moralisateurs) se verrait offrir une telle progression de revenus n’aurait d’autre choix que d’accepter (et aura donc le droit de ne pas subir de commentaires indignés ou moralisateurs). Il y aurait donc un principe de cupidité auquel chacun serait soumis aussi inéluctablement qu’à la pesanteur terrestre. L’« offre impossible à refuser » serait de même nature que celles de Vito Corleone.
Évidemment, ce principe est démenti quotidiennement par la multitude de ceux qui font un choix inverse pour des raisons très variées. Eux vont préférer, à une augmentation de leur revenus, leur qualité de vie, leur qualité de travail, leur projet professionnel, leurs loisirs, leur vie familiale, leur lieu de résidence, le refus de certains compromis, etc. L’idée que l’attrait de la richesse serait irrésistible est très contemporaine, mais elle est aussi fausse qu’imbécile et dangereuse.
Le point d’orgue de la déclaration d’Axel Witsel réside dans cette tentative de donner un caractère quand même altruiste à cette décision, prise au nom de « l’avenir de [sa] famille ». À ce point, il faudrait définir « avenir » et « famille ». À vingt-sept ans, Witsel a déjà accumulé un patrimoine dont l’écrasante majorité des habitants de la planète sera loin de disposer à la fin d’une vie entière. Ce patrimoine et les revenus de ce patrimoine seraient plus que suffisants pour assurer une situation très confortable et les meilleures perspectives soit à une famille à n degrés de cousinage, soit à une famille nucléaire sur x générations (on laisse les spécialistes écrire l’équation). Un contrat avec la Juventus n’aurait pas compromis cet avenir, mais simplement la possibilité d’accumuler un niveau de richesse encore plus élevé.
CHANGER DE DISCOURS
S’agissant de « mettre sa famille à l’abri », l’actualité fait surgir d’autres images. Ce n’est pourtant pas une question de morale, du moins pas sur ce plan. Inutile de s’indigner des rémunérations des footballeurs en les stigmatisant au passage : celles-ci sont fixées par le marché et les joueurs n’en sont pas responsables. S’il faut déplorer leurs niveaux délirants, alors il faut aussi considérer le fonctionnement de l’industrie du football tout entière, et du système économique mondial dont le foot-business est à la fois une émanation et une métaphore.
Pour autant, il reste aux joueurs concernés une part de libre-arbitre dans la possibilité de préférer l’intérêt sportif de leur carrière à leur intérêt strictement financier (sans, donc, compromettre leur fortune) : ceux-là peuvent rejoindre ou rester dans des clubs européens qui leur offriront un statut et des défis sportifs, c’est-à-dire des ambitions que ne peuvent encore procurer Shanghai et Tianjin. Il n’est nulle part facile de bien jouer dans un football de haut niveau, mais l’abandon de l’ambition sportive la plus élémentaire reste frappant. Là encore, inutile de charger les footballeurs qui font ce choix : ils livrent simplement une énième illustration des nombreuses victoires de la logique économique sur la logique sportive, dans le football d’élite actuel.
On peut cependant imaginer qu’ils fassent évoluer leurs discours vers des justifications moins hypocrites que la « mise à l’abri de la famille ». Avec plus de franchise ou avec un peu plus d’habileté. Ils pourraient par exemple dire qu’ils veulent faire partie de l’histoire en participant au développement du championnat de l’avenir, à une aventure géopolitique au cœur des évolutions actuelles de l’humanité et de celles du football mondialisé. Il y aurait dans leur propos une part de vérité qui n’enlèverait pas un dollar à leurs nouveaux contrats.
[1] Les investissements chinois suivent aussi le chemin inverse, avec des prises de participation dans de nombreux clubs et divers partenariats en Europe.
[2] Selon une information parue après la publication de cet article, l’Administration générale des Sports chinoise a annoncé son intention d’intervenir pour réguler et limiter les montants « irrationnels » investis dans les transferts et les salaires, afin de favoriser plutôt le développement de la formation locale, et de prévenir des situations de banqueroute.
[3] Si le championnat chinois attire de meilleurs joueurs, les top-players restent en Europe, où ils préservent leur image et la font fructifier. Witsel évoluait déjà en marge au Zenith Saint-Pétersbourg, Tevez approche les trente-trois ans. La carrière d’Oscar était en panne à Chelsea, mais à vingt-cinq ans, il avait le temps de se relancer.
Oscar, Carlos Tevez et Axel Witsel ont tout récemment allongé la liste des footballeurs de bon niveau qui ont choisi de signer des contrats extraordinairement lucratifs avec des clubs chinois. En 2016, les montants des transferts vers la Chine, « nouvel Eldorado » (comprendre : marché de consommateurs gigantesque où l’État et les investisseurs privés ont décidé de faire du développement du football une priorité nationale [1]) ont dépassé ceux de la richissime Premier League – même si la frénésie actuelle suscite désormais des inquiétudes chez les autorités [2].
Des joueurs se voient ainsi offrir des salaires ibrahimoviciens qu’ils n’auraient jamais obtenus dans les grands clubs européens, avec des primes de but à 150.000 euros selon Gervinho. Au Shanghai Shenhua, Tevez touchera un salaire de 38 millions d’euros par an, soit le record mondial.
LA BOURSE OU L’ENVIE
Les championnats en voie de développement sont contraints de miser sur des stars sur le déclin, des espoirs déchus et des joueurs simplement moyens, mais le football chinois a décidé de monter en gamme, fût-ce encore avec des seconds choix, pour le moment.
Pour des internationaux qui ont encore plusieurs années au plus haut niveau devant eux, en termes sportifs et de prestige, justifier de pareils choix laisse peu de possibilités [2]. La « découverte d’une autre culture », qui avait été souvent invoquée lors des premières migrations vers le Golfe ou l’Asie, ou le fameux « challenge sportif » peuvent difficilement être avancés (même s’il ne faut pas mépriser, par eurocentrisme, les championnats « exotiques », où les projets de développement peuvent être intéressants). « Le choix est très rarement sportif aujourd’hui. Les sommes sont tellement colossales que le foot devient annexe. (…) Quand on va [en Chine], on fait une croix sur le foot et sur sa vie pendant deux ans », tranche Christian Gourcuff.
En fait, les joueurs doivent bien admettre que leurs motivations sont essentiellement financières. L’admettre sans forcément l’assumer, avec le recours à un argument aussi vieux que l’inflation du marché des transferts : « Je l’ai fait pour mettre ma famille à l’abri ». Axel Witsel en a donné une merveilleuse interprétation à propos de son transfert au Tianjin Quanjian, où il devrait toucher un salaire de 18 millions d’euros par an : « C’était une décision très difficile parce que d’un côté il y avait un très grand club comme la Juventus, mais de l’autre il y avait une offre impossible à refuser pour l’avenir de ma famille ». La déclaration mérite une exégèse.
« IMPOSSIBLE À REFUSER » ?
D’abord, la « difficulté » de cette décision est celle de l’embarras du choix. Et manifestement, l’option de la Juventus était plus difficile à prendre. Ensuite, il y a cette « offre impossible à refuser », qui a le mérite de désigner sans ambiguïté la motivation principale, mais qui relève d’une théorie dont les défenseurs prétendent qu’elle est universelle. Selon celle-ci, on ne peut littéralement pas refuser de tels ponts d’or, et quiconque (y compris parmi les indignés et les moralisateurs) se verrait offrir une telle progression de revenus n’aurait d’autre choix que d’accepter (et aura donc le droit de ne pas subir de commentaires indignés ou moralisateurs). Il y aurait donc un principe de cupidité auquel chacun serait soumis aussi inéluctablement qu’à la pesanteur terrestre. L’« offre impossible à refuser » serait de même nature que celles de Vito Corleone.
Évidemment, ce principe est démenti quotidiennement par la multitude de ceux qui font un choix inverse pour des raisons très variées. Eux vont préférer, à une augmentation de leur revenus, leur qualité de vie, leur qualité de travail, leur projet professionnel, leurs loisirs, leur vie familiale, leur lieu de résidence, le refus de certains compromis, etc. L’idée que l’attrait de la richesse serait irrésistible est très contemporaine, mais elle est aussi fausse qu’imbécile et dangereuse.
Le point d’orgue de la déclaration d’Axel Witsel réside dans cette tentative de donner un caractère quand même altruiste à cette décision, prise au nom de « l’avenir de [sa] famille ». À ce point, il faudrait définir « avenir » et « famille ». À vingt-sept ans, Witsel a déjà accumulé un patrimoine dont l’écrasante majorité des habitants de la planète sera loin de disposer à la fin d’une vie entière. Ce patrimoine et les revenus de ce patrimoine seraient plus que suffisants pour assurer une situation très confortable et les meilleures perspectives soit à une famille à n degrés de cousinage, soit à une famille nucléaire sur x générations (on laisse les spécialistes écrire l’équation). Un contrat avec la Juventus n’aurait pas compromis cet avenir, mais simplement la possibilité d’accumuler un niveau de richesse encore plus élevé.
CHANGER DE DISCOURS
S’agissant de « mettre sa famille à l’abri », l’actualité fait surgir d’autres images. Ce n’est pourtant pas une question de morale, du moins pas sur ce plan. Inutile de s’indigner des rémunérations des footballeurs en les stigmatisant au passage : celles-ci sont fixées par le marché et les joueurs n’en sont pas responsables. S’il faut déplorer leurs niveaux délirants, alors il faut aussi considérer le fonctionnement de l’industrie du football tout entière, et du système économique mondial dont le foot-business est à la fois une émanation et une métaphore.
Pour autant, il reste aux joueurs concernés une part de libre-arbitre dans la possibilité de préférer l’intérêt sportif de leur carrière à leur intérêt strictement financier (sans, donc, compromettre leur fortune) : ceux-là peuvent rejoindre ou rester dans des clubs européens qui leur offriront un statut et des défis sportifs, c’est-à-dire des ambitions que ne peuvent encore procurer Shanghai et Tianjin. Il n’est nulle part facile de bien jouer dans un football de haut niveau, mais l’abandon de l’ambition sportive la plus élémentaire reste frappant. Là encore, inutile de charger les footballeurs qui font ce choix : ils livrent simplement une énième illustration des nombreuses victoires de la logique économique sur la logique sportive, dans le football d’élite actuel.
On peut cependant imaginer qu’ils fassent évoluer leurs discours vers des justifications moins hypocrites que la « mise à l’abri de la famille ». Avec plus de franchise ou avec un peu plus d’habileté. Ils pourraient par exemple dire qu’ils veulent faire partie de l’histoire en participant au développement du championnat de l’avenir, à une aventure géopolitique au cœur des évolutions actuelles de l’humanité et de celles du football mondialisé. Il y aurait dans leur propos une part de vérité qui n’enlèverait pas un dollar à leurs nouveaux contrats.
[1] Les investissements chinois suivent aussi le chemin inverse, avec des prises de participation dans de nombreux clubs et divers partenariats en Europe.
[2] Selon une information parue après la publication de cet article, l’Administration générale des Sports chinoise a annoncé son intention d’intervenir pour réguler et limiter les montants « irrationnels » investis dans les transferts et les salaires, afin de favoriser plutôt le développement de la formation locale, et de prévenir des situations de banqueroute.
[3] Si le championnat chinois attire de meilleurs joueurs, les top-players restent en Europe, où ils préservent leur image et la font fructifier. Witsel évoluait déjà en marge au Zenith Saint-Pétersbourg, Tevez approche les trente-trois ans. La carrière d’Oscar était en panne à Chelsea, mais à vingt-cinq ans, il avait le temps de se relancer.
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Date d'inscription : 05/06/2014
Re: Contrat en Asie, famille à l’abri (blog «une balle dans le pied»)
Je pense aussi que c'est une balle dans le pied, le serpent qui se mord la queue...
Surtout en tant que footballeur pro qui ne gagne quand même pas 1750€ net par mois...
Mais ce n'est que mon avis
Surtout en tant que footballeur pro qui ne gagne quand même pas 1750€ net par mois...
Mais ce n'est que mon avis
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